À rebord
Tout a été dit sur Portrait of an Artist (Pool with Two Figures), la tension érotique, le semblant d’insouciance, les deux arbres phalliques, le désir, le plaisir, les regrets. La vente record chez Christies, le documentaire A Bigger Splash, la séparation entre Peter Schlesinger – ici, debout en premier plan -, et David Hockney plusieurs mois avant la naissance de l’œuvre. La piscine, récurrence d’un motif pour ses qualités picturales, ses couleurs, sa géométrie, ses remous lascifs, ses alvéoles lumineuses. Les aplats, les tons vifs, la composition aiguisée, la nature berçante, la lumière coupante, l’étrange silence.
Tout a été dit, et pourtant je ne cesse d’y revenir. Le point m’ayant marqué, plus qu’un double portrait tissé d’une double solitude, comme souvent chez Hockney où les personnages semblent ne rien s’offrir d’autre que le présent de leur absence. Plus que la beauté d’une nature environnante indifférente à leur brouille. Plus que les formes paréidoliques de montagnes nous renvoyant constamment aux formes charnelles. Plus que les couleurs vives au premier plan, celles d’un monde fait d’artifices, sinon d’artefacts mis en contraste avec celles, apaisantes et éteintes du paysage. Le point marquant, est, cette impossibilité irrésignée.
Schlesinger se tient debout, élégamment fringué d’une veste saumonée et d’un pull couleur lilas. Pendu au sol, comme interrompu, les pieds chaussés de mocassins campés à la margelle de la piscine. Les poignées mi-closes et le regard fixant ce nageur oisif profitant d’une brasse sans éclaboussures. Il est figé, empêché par on ne sait quoi. Il reste sur le côté. Il se tient à rebord. Cherche-t-il à capter le doux mouvement qu’il surprend dans l’eau ? Cherche-t-il à appeler cette personne entièrement immergée ? Ce que semblent indiquer les traits de son visage, c’est plutôt une envie, un désir contrarié. Non simplement une frustration physique, libidinale, mais l’impossibilité de plonger à son tour. L’incapacité à se dessaisir des choses, de soi et du monde. La difficulté à être véritablement là où il est. La contrariété d’un soi qui s’empêche. L’impossibilité de plonger.
Ygaël Attali